ALLOCUTION PRONONCÉE A NOTRE-DAME DE LA GARDE
LE DIMANCHE 15 SEPTEMBRE 1935
PAR LE R. P. BERGOUNIOUX

PROFESSEUR DE GÉOLOGIE A L’INSTITUT CATHOLIQUE DE TOULOUSE


Mes Chers Amis,

Debout sur son rocher, souriante, la Vierge portant sur ses bras l’Enfant Divin accueille en cette claire matinée de Dimanche les Géologues français venus lui apporter l’hommage de leur vénération. Et je me réjouis de vous trouver si nombreux à cette heure, parce que je sens que vous avez été poussés à venir ici par un autre sentiment qu’une amicale sympathie pour les prêtres, vos compagnons de travail et d’étude. Vous avez pensé qu’ayant fait large durant ces quelques jours la part de l’esprit dans sa tâche intellectuelle, il était bon de réserver quelques instants de cette matinée pour permettre à votre âme de gravir, elle aussi, les sommets …

Et la Vierge de la Garde nous accueille, aux bords somptueux de cette Méditerranée qui vit voguer sur les flots, il y a quelque 2.000 ans, les premiers serviteurs du Christ, qui, là-bas, en terre galiléenne, venaient pour nous de mourir d’une mort scélérate. Douze pauvres hommes partant à la conquête du monde mystique ; douze ignorants qui allaient avoir à discuter avec les philosophes les plus réputés d’Athènes, et à leur imposer leur conception d’un Dieu unique, Sauveur et Rédempteur du monde ; douze bateliers du Lac de Tibériade qui allaient marcher résolument contre la Rome superbe des Césars, et peu à peu faire pénétrer leur doctrine rayonnante de paix et de joie dans ce monde, prématurément vieilli par les excès d’une civilisation tout entière basée sur le progrès matériel.

Et sans doute, derrière eux, d’autres conquérants spirituels s’embarquèrent-ils à leur tour, puisque la Provence est fière de conserver leurs tombeaux. Ensemble nous verrons la Sainte Baume et la grotte où Madeleine pleura ses pauvres péchés ; et puis il y a Tarascon où dans la crypte de la grande Basilique repose Marthe, sœur de Lazare ; et puis, les Saintes-Maries de la Mer ; et d’autres encore … Quelle est la part de certaines légendes et celle de l’Histoire dans ces vieux récits que nous transmet la tradition ? Nul ne le sait. Mais souvent, ici comme ailleurs, la légende et l’histoire se rejoignent et s’entremêlent, et le « merveilleux », cher aux premiers âges chrétiens, vient mettre un peu d’or sur nos idées critiques, avides de précision.

Tous les voyageurs viennent comme nous saluer Notre-Dame de la Garde, et leur dernier regard vers la terre de France qu’ils quittent est pour celle qui, du haut de son roc, semble maternellement se pencher sur leur détresse pour adoucir la plaie secrète de leur cœur. Comment ne nous accueillerait-elle pas avec tendresse, nous, les Géologues ?

Tout à l’heure, rayonnant autour de la Basilique, nous allons, sous la conduite de ceux dont l’Enseignement nous charme depuis trois jours déjà, essayer de faire revivre une fois de plus ces énormes crêtes provençales, vagues monstrueuses figées en une dernière menace comme pour quelque orgueilleux défi ! Une à une, on nous les nommera ; et sans doute, à les voir ainsi s’étaler sous nos yeux, les paroles du Psalmiste nous reviendront-elles à l’esprit : « Montes exultaverunt ut arietes » ? Oui, les montagnes se sont élevées comme des béliers, et les collines se sont dressées comme de jeunes agneaux. Et nous essaierons de comprendre comment cela a pu se faire. On reconstituera patiemment, pour nous, l’histoire de chaque pli, et peu à peu dans notre esprit, se refera cette série de géographies concordantes, s’emboîtant les unes dans les autres qui s’appelle : « La GÉOLOGIE ». Et quand tout sera terminé, qu’à bout d’efforts nous serons arrivés à une solution théoriquement satisfaisante, il nous manquera encore quelque chose. Je souhaite de tout cœur, que la nouvelle conception géologique de la Provence soit la vraie et la bonne, afin que dans dix ans, nos étudiants et nous-mêmes, n’ayons pas besoin comme nous le faisons à cette heure de brûler ce que nous avons adoré … Mais tout de même il nous restera tout à dire : c’est le propre de notre esprit qu’il lui est impossible de s’attacher à une réponse purement humaine. Il semble que d’inaccessibles sommets lui sont promis et que les solutions définitives ne sont pas de ce monde. « Fecisti nos ad te, Deus » disait le grand évêque d’Hippone. Oui, vous nous avez fait pour vous, Seigneur, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en Vous ! Au-dessus des solutions humaines, le problème se pose toujours, et plus nous l’examinons, et plus il se complique : Comment se fait-il, Seigneur, que nous nous trouvions si pauvres au milieu des merveilleuses découvertes du Génie humain ?

Ah, mes chers Amis, ce sentiment de notre ignorance, comme nous devons bénir la Géologie de le développer en nous ! Il est la vraie Sagesse, parce qu’il conduit tout droit à l’humilité, qu’il nous remet d’un seul coup à notre niveau de créature dépendante du seul Être qui, Lui, ne dépend de rien ni de personne : Dieu. Et comme nous devons rendre grâces en cette matinée d’avoir compris que l’hommage du cœur est dû à ce Maître, magnifiquement libéral, qui nous a donné une Intelligence pour entrevoir le mystère, et un cœur pour battre à l’unisson du sien, au rythme éternel de sa Vie divine !

Car nous sommes les fils de Dieu. Aussi grande que soit notre ignorance, nous savons, nous chrétiens, la seule chose qui importe. Placés sur la Terre sans avoir désiré à y venir, suivant la voie que nous n’aurions peut-être pas choisie, livrés à nos seuls moyens, nous sommes en marche vers un avenir que notre âme, pauvre oiseau battant des ailes dans sa prison du corps, veut éternellement heureux ! Alors, nous comprenons que les pratiques de notre religion sont autre chose que quelques gestes vains, périodiquement faits pour répondre à d’ancestrales habitudes, nous sentons que tout cela a une âme, et que s’imprégner de l’Esprit Catholique, c’est d’un seul coup se débarrasser de toutes les causes de souci déprimant, pour se confier en tout au Maître de nos vies, qui ne demande qu’à se laisser toucher par notre prière.

La Vierge de la Garde nous sourit. Comment ne comprendrait-elle pas notre supplique, et ne chercherait-elle pas à nous exaucer ? Laissons doucement monter nos cœurs par Elle, vers le cœur de son Divin Fils. Prions-là, les uns pour les autres, les uns par les autres, afin que la grande famille de la GÉOLOGIE FRANÇAISE, après avoir bien œuvré sur la Terre, se retrouve tout entière aux clairs parvis du Ciel, où il n’y aura plus que de la Lumière et de l’Amour.


Excursion Géologique Interuniversitaire
de 1935
en Provence

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